C'était une épicerie comme une autre, si l'on oubliait que l'on n'y vendait pas grand chose de consistant, ni même de normal. Une épicerie digne de ce nom aurait dû comporter de quoi nourrir ses hommes et ses femmes, avec des produits frais : de quoi vous permettre de cuisiner quelques repas, bien consistants. Que dalle, oui ! Cet endroit était aussi triste qu'un frigo vide et Dieu savait combien ce genre de rangement pouvait paraître désespéré, sans les aliments qui allaient avec.
Hélas, les seules choses que comportaient les frigos, de nos jours, c'était surtout des cadavres... et quelques petites choses, dont on ne connaissait pas la provenance, ni la sureté. De la nourriture pas naturelle, encore plus chimique que ce que l'on avait pu produire dans les usines, avant cette fichue épidémie. En résumé, ça dépassait tout et de très loin.

Dunkan avait toujours eu un gros appétit. Autant dire que, ne pas manger à sa faim, se trouvait être un fardeau plus ou moins conséquent. Pour un jeune homme énergique, quoi de plus naturel que de bien se nourrir, n'est-ce pas ? Malheureusement, il se trouvait que cette manie s'était amoindrie, avec le temps. Comment penser à ça, alors que la prise de l'antidote était bien plus importante ? Comment parvenir à se requinquer, quand on s'en voulait pour bien des faits ? Des faits anciens, comme des faits récents d'ailleurs.

Le regain d'énergie, dont il était victime depuis quelques temps, l'avait surpris. Sa rencontre récente avec quelqu'un de familier, avait dû l'affecter. Bien plus qu'il n'y songeait, malgré la douloureuse séparation que cela avait engendré. Il se sentait bien. Mieux, même. Les réprimandes du chef de son groupe n'y étaient pas innocentes, non-plus. Il ne s'était pas étonné à penser à son estomac depuis très longtemps. Pour aujourd'hui, ce ne serait pas à des activités pas très nettes, qu'il occuperait son temps.

Arpentant les petits rayons à la recherche de sa prise du jour, le jeune homme observa les quatre pièces de monnaie dans sa main, avec un petit rictus de satisfaction. Pour une fois qu'il pouvait se balader de cette façon, sans devoir faire attention tout autour de lui ! Il n'aurait pas besoin de voler aujourd'hui, pas avec l'argent si gentiment donné par Alan. Le roux n'escomptait pas l'utiliser pour acheter de l'antidote : pas pour se souvenir combien la situation était compliquée. Il l'utiliserait pour lui. Pour se faire plaisir.
Rangeant l'argent dans sa poche, Dunkan poursuivit son chemin. Ce n'était pas comme si l'économie actuelle facilitait les choses. Comment trouver son bonheur là-dedans ? Quoi qu'il en fut, si ce n'était pas cette épicerie, cela en serait une autre, voilà tout !

Grimaçant un peu, le roux finit par se résoudre à changer de lieu. Du moins, avant d'apercevoir un fait intéressant se produire, à quelques pas de lui. Occupé à régler les petits soucis d'une cliente mécontente, il semblait que le gérant du magasin venait de commettre une énorme bavure.
Quelle idée de laisser trainer son téléphone portable sur le rebord de la caisse ? Le bonhomme s'était éloigné, profitant du peu de monde pour guider la mégère vers les articles qu'elle cherchait, mais, ne trouvait pourtant pas. Aaaah, quel manque cruel de prudence !

Observant les alentours, en faisant mine d'avancer, les mains dans les poches de son blouson, Dunkan adopta l'air le plus naturel qui soit. Ne pas voler, hein ? Le fait était qu'il n'avait guère les moyens de s'offrir un téléphone portable. On ne pouvait pas nier qu'un tel objet avait son utilité, dans un monde pareil.
Regardant à gauche, puis à droite, le jeune homme glissa rapidement sa paume sur l'objet maladroitement abandonné, avant de le faufiler directement dans sa poche. Le moment était venu de prendre le chemin de la sortie, cette fois. Ce fut donc avec célérité qu'il se décida enfin à remettre le nez dehors.

- Au moins, je ne serais pas venu pour rien, souffla-t-il entre ses dents.

Faisant quelques pas, il décida de laisser le téléphone dans sa poche, bien que le serrant entre ses doigts, pour être sûr qu'il y demeure, jusqu'à ce qu'il soit loin et prompt à se l'approprier totalement.

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A peine la porte franchie que les ennuis montraient déjà le bout de leur nez. Magnifique... Et dire qu'il aurait pensé ne pas se faire remarquer ! Voilà qu'un gars s'en venait l'apostropher subitement, comme ça. L'expression tranquille du roux s'était muée en une grimace contrariée lorsque son poignet, tenant toujours l'objet subtilisé, sortit brutalement de sa poche. Le refuge avait été de courte durée malheureusement. Dunkan ne put guère contenir sa contrariété, ni même prêter attention à l'uniforme qu'arborait son interlocuteur, avant de lui jeter tout son mépris à la figure :

- De quoi j'me mêle, binoclard ?!

La question avait fusé sans crier gare. Qu'est-ce qu'il en avait à faire des états d'âme de l'ancien propriétaire du portable ? D'où sortait ce type pour avoir des pensées aussi pures ? Peut-être n'avait-il pas bien compris ce qui régissait les bas quartiers de cette ville. Ici, c'était chacun pour sa pomme et tant pis pour ceux qui ne pouvaient pas suivre.
D'abord immobile, Dunkan tenta de dégager son poignet de la main de son homologue.

- Me touche pas !

Ce fut d'ailleurs précisément à ce moment-là qu'il s'aperçut de l'uniforme qu'il avait totalement oublié. Pas n'importe quel uniforme : celui-là était plutôt commun à des citoyens que le jeune homme et ses camarades préféraient éviter.

La LOD. D'accord, il devait bien l'admettre, il se trouvait peut-être dans un sacré pétrin. D'autant plus que, si autrefois leur présence n'avait été que casse-pieds, elle était devenue différente pour lui. Ses sourcils s'étaient froncés à la vue de la tenue de l'individu et ses dents s'étaient serrées sans attendre. Dunkan ne pouvait pas oublier les paroles de son frère aîné à propos de la LOD. Il n'y croyait toujours pas totalement, mais ses mots et son histoire refaisait surface dans sa mémoire. Alors il ne sut s'il devait craindre cet homme ou passer ses nerfs sur lui.

- Qu'est-ce que vous pouvez bien savoir de ce qui est indispensable pour ma vie ou non ? Répliqua-t-il en le fusillant du regard, sur ses gardes. On se connaît, peut-être ?

L'idée de donner un grand coup sur le poignet qui l'empêchait de s'en aller lui passa par la tête. Il la repoussa machinalement : qu'est-ce qu'on ferait de lui, s'il finissait là-bas ? Il ne donnait pas cher de sa peau, d'autant que le virus courrait dans ses veines. On l'abattrait sans autre forme de procès, c'était sûr ! Machinalement, il tenta, une fois encore, de libérer son bras. Bon sang, il était infecté ! Il ne fallait pas que l'autre le touche comme ça sans faire attention ! Et s'il avait une plaie ou quelque-chose du genre ?

- Ecoutez, je vous rends le téléphone, mais laissez-moi y aller, avança-t-il pour le pousser à lâcher prise.

Bon sang, non. Frapper un militaire ne serait pas une bonne idée. Il n'avait pas réussi à approcher Amera, il ne parviendrait pas à cogner sur ce type non-plus... ou du moins, pas sans prendre une raclée et être conduit Dieu savait où.