Les couleurs défilent, au même rythme que le vent.
Il y a un grondement dans l'air, quelque chose qui roule et roule sans s'arrêter. Les images passent, les odeurs changent alors que le soleil décline. J'ai faim. Une musique lancinante, un morceau de rock qui pleure dans mes écouteurs.
Boum, boum. Comme la peur.
Il y a cette guitare électrique qui cache les cris des perdus, là-bas, si près, à l'horizon. Je ne m'arrêterai pas. L'asphalte semble presque disparaître devant moi en ligne droite, coupé par le ciel.
La peur, ouais. Il y a moi, il y a eux et leurs yeux sang. Ils sont comme un mur face à la route. Peur. Mon vieux jean sombre et mon blouson en cuir ne les arrêteront pas, et cette moto n'est pas le plus sécurisant des engins. Je vais foncer. Faut que ça passe. Faut que ça passe.
Boum, boum. C'est mou, sous les roues. Des os craquent. J'augmente le volume et des larmes de stress coulent sur mes joues. Bordel, cette sensation d'écraser un corps...
Le village s'éloigne. Le ciel décline dans des tons d'agrumes. On se fout des limitations de vitesse maintenant. Seul sur cette route en ligne droite, la bécane grogne à cause de la vitesse que je lui fais prendre. Des corps au sol. Des papillons dans les entrailles. Ne pas trembler. Ce sang malade qui a tâché le bas de ton jean, s'en foutre. Juste voir cette foutue cité qui s'en va derrière. Ne pas penser, ne pas penser à tout ça.
Les couleurs défilent, au même rythme que le vent. Les cigales chantent dans les plaines et les herbes hautes. Comme si le monde était encore en vie.
* * *
Ai dormi en haut d'un arbre. Ils ne devraient pas pouvoir monter jusqu'ici. Pas envie de redescendre, pas envie de me confronter de nouveau à tout ça. D'ici, je peux voir...
du rouge
...ma moto qui m'attends. Plus d'essence, pas de station. Je quitte les branchages. Le sol est encore humide à cause de la rosé du matin, il y a un tapis d'oeillets fleuris à côté. Des campanules, des boutons d'or. Un coin à fraises, je m'en suis gavé hier soir après être tombé en panne. Il fait encore un peu sombre, encore un peu frais. Heureusement que j'ai ce blouson.
Une gorgée de la bouteille d'eau précieusement gardée dans mon sac. Pas question d'en prendre dans un ruisseau peut-être contaminé en amont. Le téléphone a encore un peu de batterie, miracle. 06h19. En route.
Le vent s'engouffre dans les feuilles du chemin forestier. Pas un bruit, on dirait qu'ici le chaos n'est pas encore venu tout détruire. Quelques oiseaux chantent pour réveiller la forêt. Je peux même m'accorder le luxe de fermer les yeux, d'entendre les bruissement des arbres et des plantes. Ça sent la verdure, l'herbe mouillée.
* * *
Ça fait quelques heures que ça dure. Ça me suit. Ça pleure.
J'aurai jamais cru avoir autant de frissons. Quand est-ce que ça attaquera ? Qu'est-ce que c'est ? J'ai vu des cheveux pendants et un teint malade. Des ongles aussi, on les aperçoit d'ici. Recourbés à cause de leur longueur. Frisson. C'est décharné et pourtant... Puissant. Dans ses pas, dans sa façon de se mouvoir. Il ne faut pas que ça m'attrape.
Et moi, je pousse cette moto ridiculement lourde. Les roues épaisses glissent sur le tapis de terre. Il y a une station à la sortie de cette forêt, si j'y parviens. C'est lourd, très lourd. Ma seconde main est occupée à caresser le magnum qui habille ma hanche. Il ne faut pas que ça m'attrape. Quatre heures maintenant. Mes jambes n'en peuvent plus, je n'ai pas le droit de perdre ma vigilance. Peur. Larmes. Prières. Larmes. Le vent dans cette forêt vide de toute aide. Ma tête va exploser. Dans le chemin ombré, caché par les arbres, résonnent encore des pas glauques. Encore un peu, encore beaucoup. Je ne peux pas m'arrêter, ça va me rattraper... Je ne peux pas tirer, le bruit en attirerai d'autres...
Le monde tourne
Marre de cette épidémie, marre de cette route trop longue pour s'en sortir. Marre de ceux qui ont déclenché tout ça, je n'en peux plus, je vais m'effondrer, je m'épuise. Tout se mélange. Putain...
Et mes jambes ne me tiennent plus
Au sol. Me suis enfoui sous les herbes du côté de la route. Et ça continue à avancer vers moi. Ça n'hésite pas. Les pleurs sont de plus en plus forts. Je ferme les yeux...
* * *
-Il n'y a pas à s'inquiéter.. En fait vous avez juste besoin de pleurer.Est-ce que je deviens fou ? Ça.. Elle ? Ça ? Elle me regarde. Avec ses yeux rouges emplis de larmes. Les sanglots sont devenus plus discrets. Est-ce qu'elle m'écoute ? Putain de solitude. Assise dans l'herbe à côté de moi, elle me répugne autant qu'elle me... touche. L'infectée ne semble pas vouloir attaquer. La haine qui habite les autres a fait place à de la tristesse.
C'était quelqu'un avant. Sans doute quelqu'un de gentil.
Frisson
Elle ne bouge pas. Créature immobile sur un par terre de fraises, dame blanche déstructurée. Compagnie. Ouais, je deviens fou, sûrement. Je me sens paumé, complètement con, complètement perdu face à son visage blanc. Presque résigné. Elle ne m'attaque pas. Je n'ai plus la force de reprendre mon chemin de toute façon. Elle m'écoute. C'est con, ça me soulage.
Je lui ai raconté mon village. Un coin tranquille, à l'abris des grands lacs du Michigan. Ces endroits où tout le monde se connaît. Où il n'y a pas de commerces mais des gens qui échangent leurs récoltes et leurs services contre d'autres récoltes et services. Un ruisseau doré sous le soleil du matin. L'eau qui éclabousse les sabots du bétail qui passe par là. Un visage paisible. Je lui ai raconté Sacha et ses grands yeux verts, ses cheveux noirs, ses doigts fins. Et notre alliance à l'annulaire. Sacha et ses lèvres corail. J'étais en permission pour venir la voir. Elle et tant d'autres. Famille, amis... Un petit village où j'avais tout.
-Ils sont tous morts là-bas, tu sais. Je n'ai pas laissé l'épidémie se répandre. Mon doigt glisse sur la surface lisse du magnum. Les yeux dans le vide, comme elle.
-Quand j'ai compris que les infectés se répandaient trop vite, on était cachés dans cette maison. Ma famille, mes proches... Et je me suis tourné vers eux. Ils ont pleuré et m'ont supplié. Mais je... S'ils avaient survécu je m'en serais pas sorti...
-...je n'ai pas voulu les voir devenir inhumains tu comprends ? Je n'ai pas voulu les laisser souffrir, c'était plus rapide pour eux. La meilleure des choses à faire n'est-ce pas ? Mais cette peur sur leur visage quand j'ai sorti le pistolet.
La terreur du premier coup de flingue en pleine tête...-Et Sacha... Tu sais, elle a tendu sa main vers moi, elle aussi m'a supplié d'arrêter. Sacha... Ce n'était pas l'alliance que je lui ai offert qu'elle portait. C'en était une autre, ornée de diamants que j'aurai jamais pu lui payer.J'ai eu envie de la buter
-J'ai tiré trois coups dans son crâne. C'est moi qui suis inhumain.J'ai envie de vomir. Leurs yeux terrorisés pour toujours dans ma tête. Je pouvais pas faire autrement. Mieux valait cette mort. Mieux valait cette mort.
Je me relève. L'ombre des arbres danse toujours. Les oiseaux chantent toujours. Et je recommence à pousser la moto vers la fin de la forêt, vers la station.
T'aurai pas du survivre Ethän.
Que toi t'ai réussi à t'enfuir, c'est injuste.
-Ils me parlent dans ma tête. Je me suis pas attardé auprès d'eux. J'ai fui vers cette bécane qui n'attendait que de partir. J'ai reçu un entraînement assez complet pour éviter les infectés, et j'ai roulé. En abandonnant leurs cadavres* * *
"Tu te rends compte ? Tout le monde raconte que le prochain poste de capitaine sera pour le lieutenant Lysevelt ! Sérieux, il se démarque vraiment. Il a participé à presque toutes les missions de construction et de sécurisation des districts autour de la LOD, non ? On arrête pas de le voir discuter avec des civils aussi, il est très apprécié ! En plus, son expérience sur le terrain a permis de répertorier beaucoup de cas d'évolution du virus sur certaines personnes ! Il paraît même qu'il s'est retrouvé coincé avec une Witch en venant à Crimson City, et il s'en est sorti ! Je ne connais pas quelqu'un qui ait meilleure réputation ! Et puis dans les missions, on dit qu'il n'abandonne jamais personne à l'arrière. Oui, tout le monde l'adore !"